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Billet de blog, articles en lien avec nos activités philo-création, nos réflexions et analyses des lectures d’actualité en philo jeunesse, nos événements à venir et galerie de photos !
Février 2025
Pourquoi et comment parler de l’univers aux enfants ?
Comment parler de l’univers aux enfants d’un point de vue philosophique et pourquoi ? Comment aborder un sujet si vaste et qui “n’existe que sur le papier” comme le disait Paul Valéry ?
La raison première qui motive le choix d’aborder en atelier philosophique un sujet portant sur le ciel, l’observation du ciel ou l’univers tient d’une part au fait que ce sujet passionne beaucoup d’enfants. Dès la grande section de maternelle et tout au long des premières années de primaire, les enfants questionnent l’origine des choses : comment est né le soleil ? Qu’y a-t-il dans l’univers ? Sommes-nous seuls ?
Qu’y avait-il avant la naissance des étoiles et des planètes ?
Ces interrogations ressemblent à la question déroutante et célèbre du philosophe Leibniz : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
Réfléchir à la question de l’origine de l’univers en tant que totalité de ce qui existe revient à se poser une question philosophique, celle de la génération (et de la naissance) : comment quelque chose peut-il émerger du néant, du rien ?
C’est aussi une matière inépuisable de questionnements qui remet à jour l’origine et la fonction des mythes. Les mythes, disait Claude Lévi-Strauss “tendent à fonder, par ce qui s’est passé à l'origine du temps, la raison pour laquelle les choses sont comme elles sont”. On a longtemps et dans de nombreuses cultures vu et lu des signes dans le ciel qui expliquaient l’organisation de la société des hommes, leur rapport aux divinités et aux puissances naturelles. Le ciel était le miroir du monde terrestre et son explication mouvante.
✸ “Ring Nebula” - télescope spatial James Webb
✸ Jupiter - image du télescope spatial James Webb
Au risque de se perdre dans des dizaines de questions sur les objets célestes et que la discussion philosophique ne se transforme en “foire aux questions” - certes intéressantes et/ou fantasques, il est préférable de choisir un axe clair.
Observer le ciel, est-ce une évasion ?
Nous choisissons depuis plusieurs années de poser cette question spécifique. Elle est intéressante car elle indique que l’observation du ciel n’est pas une stricte contemplation ou une recherche de connaissance scientifique, mais qu’à plusieurs égards cette observation conduit à “s’évader”, par l’imagination - certes, mais aussi de notre condition d’être fini en pensant à ce que nous serions, si nous pouvions “quitter la Terre”. À ce sujet, le prologue de La condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt nous indique l’idée sous-jacente de la volonté d’explorer l’espace : en 1957, après le lancement du satellite Spoutnik 1, un journaliste se réjouit et exprime son soulagement à l’idée de pouvoir s’évader “de la prison terrestre”. L’idée n’est pas anodine, Hannah Arendt s’y arrête longuement.
Il faut être préparé à des questions parfois pointues : qu’est-ce qu’un trou noir ? Combien y a-t-il d’étoiles dans l’univers ?
Quelle est la différence entre une étoile et une planète ? Comment se forme une étoile ? Qu’est-ce que le big bang ?
L’univers a-t-il une forme ? Une fin ? etc.
✸ Nebulose_NGC 602 - par télescope spatial James Webb
S’il s’agit d’un atelier philosophique, il est néanmoins de toute importance de ne pas négliger ces questions mais d’y répondre - quand c’est possible ! Tout en ramenant ces questions à la question philosophique posée.
Ce sujet est d’une immense richesse d’un point de vue philosophique. Ce n’est pas un hasard qu’il ait été au cœur des préoccupations des philosophes de l’Antiquité, ni qu’il y ait eu de nombreux philosophes à observer le ciel et polir des lentilles… S’interroger sur l’origine de l’univers visible et la place de l’humain au sein de cette énigme fondamentale nous ramène au vertige du philosophe Pascal mais aussi à la quête de savoir, d’aventure, et de l’imaginaire qui se confronte à ces “espaces infinis”.
Pour préparer un atelier philosophique sur ce sujet nous vous conseillons :
Le chapitre 7 “Observer le ciel, est-ce une évasion ? ” de notre livre : 50 activités pour philosopher avec ses enfants (First, 2020).
La lecture du prologue de La condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt
Un livre pour enfants afin d’aborder des questions scientifiques sur le ciel (Les copains du ciel) : https://www.editionsmilan.com/livres/58106-copain-du-ciel/
Le site du Centre National d’Études Spatiales (CNES) et en particulier les podcast “Raconte-moi l’espace” : https://podcast.cnes.fr/raconte-moi-lespace/
Le formidable livre de Fatoumata Kebe : Au-delà du ciel qui explique et montre des images du télescope James Webb (JWST)
La série France Culture “Aux origines de la conquête spatiale” : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/aux-origines-de-la-conquete-spatiale-9593070
Le visionnage des émissions scientifiques de la chaîne ARTE sur l’espace et en particulier la série “Une espèce à part” : https://www.arte.tv/fr/videos/075786-001-A/une-espece-a-part/
Fanny Bourrillon
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Pour aborder un sujet aussi vaste avec des enfants il est primordial de bien choisir l’axe et la question qui initie l’atelier philosophique.
Sept. 2024
Pourquoi et comment
parler aux enfants de l’Intelligence Artificielle ?
L’Intelligence artificielle nous fascine car elle imite l’intelligence humaine tout en étant beaucoup plus performante pour effectuer certaines tâches. Se développant à toute vitesse, les nouvelles technologies dotées d’une intelligence artificielle mettent au défi l’humain dans de nombreux domaines. Cependant, peut-on dire qu’une IA « pense » ? Est-elle consciente d’elle-même ? Qu’est-ce qui fait encore la singularité humaine et pour combien de temps ? Ces questions, difficiles de prime abord, nécessitent un premier temps de présentation et d’explications. Pour un sujet aussi technique et en constante évolution, il est impératif de s’assurer que les enfants comprennent de quoi il s’agit, ce que l’IA peut ou ne peut pas faire, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
Par conséquent, voici, dans un premier temps, la question que nous soumettons aux enfants (dès 7 ans) : Qu’est-ce qu’une Intelligence Artificielle ? Si certain.es le savent et parviennent à dire qu’il s’agit de techniques informatiques qui imitent le fonctionnement du cerveau humain, d’autres n’en ont qu’une idée vague. Nous proposons alors dans un premier temps de visionner quelques courtes vidéos explicatives afin de déblayer le terrain et de partir sur de bonnes bases avant la discussion philosophique (ressources à la fin de ce billet). Il est aussi possible de proposer une présentation de 15 à 20 minutes, questions comprises, afin de définir strictement ce qu’est une intelligence artificielle, ce qu’elle n’est pas, mais aussi de questionner les enfants et de compléter leurs réponses quant à la question suivante : où se trouve l’IA ? (Dans quels objets, sur quelles applications, plateformes etc.). Il est important à ce stade de préciser qu’il n’y a pas d’IA dans chaque objet robotisé. Il y en a en revanche dans de nombreux jeux vidéos, de très nombreuses applications (Meta, ChatGPT). Et celle-ci ne s’applique pas à un seul domaine puisque l’intelligence artificielle s’intègre partout : dans les arts (Dall-E) avec la création de peintures, d’images, de sculpture ou de musique ; dans la médecine avec des outils d’analyse et de prédiction d’une maladie (et même la chirurgie assistée par ordinateur) ; dans les mathématiques (AlphaGeometry) ; dans des applications de recettes culinaires, dans les voitures autonomes, dans les services de cartographies en ligne (GoogleMaps) [...].
Une fois cette partie introductive passée, nous posons la question “Est-ce qu’une Intelligence Artificielle pense ?”
Cette question soulève de nombreuses définitions à poser et distinctions à opérer. Il convient de définir le mode opératoire d’apprentissage des IA (IA apprenantes) et de le comparer à nos facultés d’apprentissage. Il convient également de distinguer le réflexe et la réflexion par exemple : la vitesse à laquelle chatGPT compose un poème et le temps que nous y mettrions. Encore, la définition de ce que c’est que penser, mais également une définition de l’intelligence humaine à la différence d’une intelligence artificielle qui est conçue et pensée dans le but de nous faire gagner du temps ou de servir un intérêt précis.
Pourquoi aborder ce sujet avec les enfants ?
Parce qu’ils en entendent beaucoup parler d’une part et parce qu’ils y sont déjà ou y seront confrontés.
Le premier enjeu de la discussion philosophique est de distinguer le vrai du faux sur l’IA. Les enfants imaginent un robot omniscient. Ils imaginent que les assistants conversationnels comme Alexa (Amazon) ont une forme de conscience - certains en ont même peur ! Il s’agit alors de démystifier les capacités des IA à ce jour, pour se confronter à des questions plus importantes : qui pense “avec” les intelligences artificielles ? Quels buts servent-elles ? Hormis le gain de temps et l’efficacité, on sait aussi que les IA peuvent être très efficaces pour répandre ou produire de fausses informations (et servir des acteurs malveillants).
La raison majeure et l’urgence à parler aux enfants d’Intelligence Artificielle tient au développement galopant d’un futur synthétique proposant des images et des audios créés de toute pièce faisant croire à une réalité alternative. Cette réalité synthétique - communément appelée deepfakes peut faire parler n’importe quel visage en imitant ses expressions, elle peut aussi revêtir une voix bien connue et “faire parler”. Le problème : ces mises en scènes peuvent paraître tout aussi plausibles que la réalité physique au point où il sera probablement bientôt difficile de distinguer le vrai du faux, une vraie image d’une fausse, un visage réel d’un visage purement synthétique. Ce bouleversement absolument inédit de nos perceptions doit conduire à une rapide formation des esprits, à une “pratique des images” pour la simple et bonne raison qu’il en va de notre perception du monde, de l’actualité, et de notre faculté de juger, et de former une société démocratique.
Quelques mots sur le contenu de la partie philosophique :
Il est intéressant alors de proposer aux enfants de penser ce que c’est que l’intelligence humaine dans son ensemble, c’est à dire n’étant pas seulement capable de résoudre des problèmes, ni surtout de distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste, de savoir faire face à des situations complexes nécessitant un regard critique. À ce stade, nous proposons aux enfants de réfléchir à ce que c’est que “comprendre” (-prehedere, “saisir”/ -cum, “avec”).
En progressant dans la réflexion collective, c’est l’intelligence et la sensibilité humaine qui est mise au jour, sa “singularité”, mais aussi celle d’autres espèces intelligentes.
Les enjeux sont multiples : questionner le “meilleur des mondes” et les promesses des entreprises qui mobilisent des IA, distinguer les risques réels des risques fictifs, et de mesurer les défis que ces nouvelles technologies entraînent.
À propos de cet atelier : nous le proposons depuis 2018 à la bpi Centre Pompidou pour adolescents. En 2024, nous le proposons lors du printemps de l’esprit critique à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris pour des groupes scolaires et enfants du CE2 au CM2.
Ressources :
Ces deux ressources sont volontairement courtes pour introduire la première partie :
C’est quoi l’intelligence artificielle ? (curionautes des sciences - Milan Jeunesse) :
https://www.youtube.com/watch?v=PBJ9_G8d6mo
Qu’est-ce qu’un réseau de neurones artificiels (sorbonne université), 2 minutes :
Un article afin de nourrir la discussion préparatoire à l’atelier philo :
Pour approfondir le sujet nous vous conseillons :
“La course à l’IA : vers le meilleur des mondes ?”
https://www.arte.tv/fr/videos/115067-000-A/course-a-l-ia-vers-le-meilleur-des-mondes/
Sur les Deepfakes :
https://www.arte.tv/fr/videos/118634-000-A/deepfakes-la-nouvelle-donne/
Fanny Bourrillon
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